Lettre
ouverte au Premier Ministre, aux Ministres de l'Agriculture, de
l'Agroalimentaire et de la Forêt, de l’Écologie, du Développement durable et de
l’Énergie, des Affaires sociales et de
la Santé
Paris le 17 octobre 2012
Monsieur le Premier Ministre, Mesdames
les Ministres, Monsieur le Ministre,
Suite
à la publication par l'équipe de Gilles-Eric Séralini d'un article dans la
revue Food and Chemical Toxicology [1],
le gouvernement a demandé à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de
l'alimentation, de l' environnement et du travail (ANSES) et au Haut Conseil
des Biotechnologies (HCB) par saisine en date du 24 septembre 2012 [2] de :
1. « déterminer si elle est de
nature à remettre en cause ou non les conclusions des évaluations précédentes
sur cet OGM et notamment si elle peut être considérée comme conclusive quant au
risque sanitaire » ;
2. « déterminer si elle est de
nature à remettre en cause ou non les conclusions des évaluations précédentes
de l'ANSES sur l'herbicide Roundup » ;
3. « évaluer si le protocole mis en
oeuvre et les conclusions de cette étude remettent en cause les lignes directrices
actuelles ou à venir en matière d'évaluation des risques sanitaires ».
Les
associations soussignées issues de la société civile souhaitent apporter leur
contribution à ces questions de société qui ne peuvent être réservées aux seuls
experts scientifiques.
Sur la question n°1, il convient
tout d'abord de constater qu'aucune étude de toxicologie similaire sur la vie
entière de rats n'a été réalisée auparavant. Attendu que l'étude de Gilles-Éric
Séralini, dite «in vivo», soulève des questions pertinentes sur la toxicité
chronique et non seulement aiguë et sur la toxicité des faibles doses et des
mélanges, elle remet en cause les conclusions des évaluations précédentes qui
se sont toutes arrêtées avant d'étudier ces questions. Les études à plus de
deux ans auxquelles se réfèrent souvent les détracteurs de l’étude «in vivo»,
portent soit sur des espèces animales ayant des vies plus longues que les deux
ans de vie des rats, rendant ces études non représentatives de toxicité
chronique sur vie entière, soit sur des études nutritionnelles et non sur des
études toxicologiques (avec analyses de sang, analyses d’urine, dosages
hormonaux, prélèvement d’organes pour études anatomiques-pathologiques, …etc).
Sans
prétendre intervenir dans les controverses scientifiques soulevées par l'étude
« in vivo », force est de constater que les études présentées par les firmes
qui ont obtenu des autorisations de commercialisations de plantes transgéniques
montrent toutes encore plus de faiblesses que celles qui sont reprochées à l'étude
«in vivo». Ces évaluations sont donc remises en cause non seulement par l'étude
«in vivo», mais plus encore par les critiques à son encontre avancées par ses
détracteurs.
Sur la question n°2, les résultats
de l’étude « in vivo » sur la toxicité de l'herbicide Roundup sous sa formule
commerciale sont en totale conformité avec d'autres résultats scientifiques
publiés (notamment par l’équipe du Professeur Bellé de Roscoff [3] et tout récemment par Mesnage et al. [4]). Les conclusions
des évaluations précédentes par l'ANSES sont donc à reconsidérer. Ce travail
doit être confié à des experts indépendants de tous liens directs ou indirects
avec ceux qui ont validé l'autorisation de cet herbicide. D’autant plus que
leur évaluation a porté sur son seul principe actif (le glyphosate) et non sur
les formules commerciales comprenant les adjuvants indispensables à son action
effective et qui peuvent jouer un rôle important, y compris synergique.
Sur
la question n°3, à l'instar des remarques du comité scientifique du HCB sur
les dossiers de demandes d'autorisation, nous constatons que tant les
intervenants de l'étude «in vivo» que ses détracteurs dénoncent la trop faible
puissance statistique des études faites par les entreprises. Il est également
acquis au débat public que les lignes directrices d'évaluation des OGM doivent
être revues comme l’a déjà demandé en 2008 à l’unanimité de ses membres le
Conseil européen des ministres de l’environnement. La nouvelle proposition de
règlement sur ces lignes directrices actuellement discutée comporte un flou
quant à l'obligation faite aux entreprises de conduire des analyses autres que
celles de comparaison de composition : les analyses de toxicologie ne sont plus
exigées dans de nombreux cas.
Nos
associations vous rappellent que la question des OGM ne se limite pas aux seuls
enjeux sanitaires liés intimement aux conditions environnementales, même s'ils
sont d'une importance primordiale. Elle comporte aussi des enjeux juridiques
(appropriation de la totalité des semences par les brevets), économiques
(concentration des entreprises semencières, …etc), environnementaux
(dissémination, perte de biodiversité, …etc), politiques (perte d'autonomie des
agriculteurs et de souveraineté alimentaire des peuples), et éthiques. La
révision des procédures d’évaluation doit donc aussi permettre d’y ajouter un
volet économique, éthique, écologique et social.
Quels
que soient les avis des experts scientifiques, dont certains ont régulièrement
noté les insuffisances profondes des dossiers présentés par les entreprises,
c'est aux seules instances politiques que revient la charge d'accorder ou non
ces autorisations. En vertu de la Constitution
qui impose de respecter le principe de précaution [5], elles doivent aujourd'hui les suspendre
jusqu'à ce que des études indépendantes des firmes commerciales et des experts
qui ont validé les précédents dossiers et disposant des moyens financiers
suffisants, permettent de répondre aux questions remises au cœur du débat par
les travaux de l'équipe de Gilles-Eric Séralini.
Enfin,
nous trouvons inadmissible que les données brutes des études de toxicologie,
qui ont permis les autorisations de mise sur le marché des OGM, pesticides et
autres xénobiotiques, soient couvertes par le secret industriel, alors que
l'impact de ces produits concerne au plus haut point la santé de l'ensemble des
populations. Nous vous demandons à nouveau de faire en sorte que ces données
soient rendues publiques sous une forme exploitable statistiquement.
Monsieur
le Premier Ministre, Mesdames les Ministres, Monsieur le Ministre, nous vous
assurons de nos meilleurs sentiments.
Alliance internationale Terre citoyenne, Amis de la Terre, AITEC,
ATTAC, Collectif Appel de la Jeunesse,
Collectif national des Faucheurs et Faucheuses volontaires,
Confédération Paysanne, CNMSE (coordination nationale médicale santé
environnement), E3D (écologie developpement durable démocratie), Fédération
nationale des CIVAM, FNAB (Fédération Nationale de l'Agri-culture Biologique), Fondation
Sciences Citoyennes, Génération Futures,
Greenpeace, Fédération Nature et Progrès, OGM Danger, Réseau Semences
paysannes, Syndicat Simples
ASR (Action Solidarité Rurale), ADENY (Défense de l'environnement et
de la nature de l'Yonne), Agrobio Périgord, Amies (association des médecins
indépendants pour l’environnement et la santé publique-Montpellier), Autun Morvan Ecologie , ARPE (association
réflexion,propositions pour l'environnement 69), Buez an Douar, Collectif
Citoyen Bretagne sans OGM, Collectif Béarn pour un moratoire OGM, CLVC UD 75
(consommation, logement et cadre de vie), Collectif anti-OGM 66, Collectif
Vigilance OGM 21, Collectif vigilance OGM 69, Follavoine PACA, Loiret sans OGM,
Maison de la Semence de la Loire, Réseau Agriculture durable, Rés'OGM
info, Réseaux citoyens de St-Etienne, Ruralimages, Station de Recherche Pluridisciplinaire de Metz, Zéro OGM
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[1] Long term toxicity of a Roundup herbicide and a
Roundup-tolerant genetically modified maize
G.-E. Séralini et al. Food and Chemical
Toxicology Vol. 50, Issue 11, Novembre 2012, pp. 4221–4231
[2]
http://www.hautconseildesbiotechnologies.fr/IMG/pdf/Saisine_2012-09-28-201801.pdf
[3] R. Bellé et al. Letter to the editor: toxicity of Roundup and
glyphosate. J Toxicol Environ Health B
Crit Rev. (2012) 15(4):233-5
[4] R. Mesnage et al.
Toxicology. Septembre 2012.
[5] En février 2005 le
Parlement réuni en Congrès a inscrit dans la Constitution la Charte de
l'Environnement, installant par là même le principe de précaution (art. 5) au
niveau le plus élevé de la hiérarchie des normes juridiques :
« Lorsque la réalisation d'un
dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait
affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités
publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs
domaines d'attribution, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des
risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer
à la réalisation du dommage. »
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