AFP 01.03.06 09h30
La Camargue est prête à déclencher la guerre aux moustiques, épargnés jusqu'alors des insecticides en raison du statut de zone naturelle protégée dont elle bénéficie et par la relative indifférence de ses habitants. L'apparition d'un larvicide naturel, le BTI, la peur de risques sanitaires liés à l'arrivée en 2001 du West Nile Virus, ou à l'hypothétique chikungunya, mais plus encore la spectaculaire infestation de septembre 2005 ont changé la donne. L'ennemi à abattre est ici l'Aedes caspus, le plus agressif parmi la quarantaine d'espèces recensées localement, qui ne véhicule aucune maladie mais prélève sur les épidermes ses "repas de sang", indispensables à la ponte. En septembre dernier, la région a subi la pire éclosion en quarante ans, selon les experts. Des pluies diluviennes après neuf mois de sécheresse ont déstocké des millions de larves qui ont éclos en moins de cinq jours. "Ils piquaient même à midi, les moustiquaires étaient noires", se souvient Gaël Hemery, responsable de la conservation des milieux naturels au Parc régional de Camargue, créé en 1970. Les plaintes affluent de 40 km à la ronde. "La Camargue a toujours été un espace protégé, mais il faut rendre la vie quotidienne acceptable", résume aujourd'hui le maire d'Arles, Hervé Schiavetti, président du Parc. "L'objectif est de ne plus avoir à souffrir de pareils événements. Le chikungunya peut nous aider, car nul ne peut garantir qu'il ne pourrait devenir un problème ici". Ce virus qui frappe l'île de la Réunion est cependant véhiculé par une autre espèce, l'Aedes albopictus, dont la présence - inoffensive - n'est avérée que sur la Côte d'Azur, selon Michel Babinot, directeur opérationnel de l'Entente interdépartementale de démoustication (EID), à Montpellier. C'est donc l'EID qui sera chargée du ménage, en contournant les nombreuses zones naturelles protégées, dès les budgets bouclés (4 M d'euros, dont 900.000 pour l'expérimentation qui pourrait commencer cet été) et à condition de n'utiliser que le Bacillus thurigiensis israelensis (BTI), une bactérie ingérée par les larves qui libère sa toxine mortelle dans leur organisme. Le BTI a l'avantage sur les produits de synthèse de ne pas attenter aux autres organismes, notamment les chironomes qui partagent les habitats de l'Aedes caspus et jouent un rôle indispensable dans la chaîne alimentaire. "Leurs larves nourrissent les oiseaux, les poissons et les amphibiens, et leurs essaims les hirondelles", explique Brigitte Poulin, ornithologue à la station biologique de la Tour du Valat, près de l'étang du Vaccarès. "Le conseil scientifique du Parc a donné son accord de principe sous condition d'un suivi: il faut un état-zéro avant démoustication, puis suivre la dynamique des populations, le dérangement de la faune et effectuer des études de satisfaction" auprès des humains, résume Gaël Hemery. Le BTI ne saurait garantir "le zéro moustique", précise-t-il. "Mais les gens en voudront toujours moins et bientôt il faudra démoustiquer toute la Camargue", craint-il en insistant sur l'indispensable maintien du "moustique naïf", celui qui n'a jamais connu de démoustication et garantit un brassage génétique limitant la capacité de résistance de l'espèce. Brigitte Poulin redoute elle aussi la "chasse au dernier moustique". "Le BTI est le moins toxique, mais il n'empêche pas tout impact sur la nature." Pour le sociologue Bernard Picon du CNRS, auteur d'une enquête en 2004, ces dernières résistances illustrent aussi la place assignée au moustique dans l'identité camarguaise: un symbole de la résistance à l'extérieur. Le moustique contre le tourisme et l'urbanisation.
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